Présentation
Parcourir quelques-uns des titres publiés par Jacques Josse depuis plus d’une vingtaine d’années, et tout particulièrement la trilogie publiée chez Cadex : Un habitué des courants d’air, Ombres classées sans suite et récemment Bavard au cheval mort et compagnie (qu’accompagnent fidèlement les dessins de Georges Le Bayon) c’est tout de suite percevoir que l’on ne se trouve pas en présence de textes faits pour distraire ou aux vertus consolatrices.
Pareillement, un recueil de séquences et de poèmes écrits entre 1985 et 2001, Vision claire d’un semblant d’absence au monde, (éditions Apogée) emprunte son titre à une citation de Danielle Collobert :
Il sera sans doute allongé sur le côté
- bras replié sous la tête - vision claire
d’un semblant d’absence au monde
Dans la forte préface qu’il donne à ce livre, Lionel Bourg met en lumière “cette façon d’être et de dire dont Jacques Josse ne s’est jamais départi, qu’il n’a pas besoin de monter en épingle, qui nous hante et pour laquelle nous sommes prêts encore à risquer autre chose que le semblant d’absence au monde auquel nous sommes promis.”
La poésie, oui, la poésie, il me semble... “Avec le halètement des vagues dans la tête”. Une poésie qui, vivante comme peu d’autres, assume la familiarité avec la mort que ce pays de fin de terre entretient depuis toujours, d’ancestrales terreurs, d’ancestrales querelles avec le sentiment macabre d’exister, dans les églises, sur les calvaires des enclos paroissiaux ou par l’entêtement comme ahuri dont on a caractérisé les autochtones, déterminant le plus modeste rituel et, au zinc des cafés, le rictus ou la faconde profanatrice de sombres officiants noyant dans la bière le souvenir d’un peuple d’enchanteurs.
On aura bien sûr reconnu la Bretagne - cette province de l’âme - avec ses ports, églises, cafés. Nombre des courts récits qui composent la trilogie évoquent la côte du Goélo (Pors Moguer, Gwin Zegal etc.), mais bien plus encore ce débat avec la mort qu’affronte l’homme (de Bretagne et d’ailleurs) et qu’illustrerait bien la danse macabre de la chapelle de Kermaria an Isquit, proche des lieux cités : légèreté de la danse, vanité des rangs, et universelle destination.
C’est à l’humain de l’humain que Jacques Josse a affaire et à la manière d’un Pierre Bergounioux (La casse, Fata Morgana ; Voir, savoir, in Conférence n° 4) l’écriture lui est confidence épurée des morts auxquels elle vient donner un peu de la beauté qui leur aura été refusée, lambeaux de vie devenus “linges rendus à la lumière fertile”. Ce n’est donc pas forcément “avec des idées noires” que l’on sortira de la lecture des recueils de Josse ; fortement ému certainement. On y rencontrera donc des cassés de la vie, mais aussi les écrivains fraternels (Lequier, Palante, Corbière, Yves Martin, Hrabal, Thierry Metz, Kerouac...), des peintres : Paul Quéré. Une écriture nette, sans fioritures ni emphase, avec des éclats de beauté, un art du croquis, de surprendre, de toucher juste et ce faisant de donner à penser, on songe en particulier à toutes ces solitudes évoquées, et à la “poignée de main” du poème.
En citant les premières lignes de Jacques Josse dans la revue l’Étrangère N° 4/5 : Lire Matthieu Messagier et dévaler les pentes de l’écriture, on aura au travers de cet exercice d’admiration une vue de sa propre écriture. Voici :
J’ai toujours eu beaucoup de mal à parler de Matthieu Messagier.. L’œuvre, abondante, foisonnante, déjà plus de cinquante livres, ne cesse pourtant de m’émouvoir. La difficulté vient d’ailleurs. Elle jaillit dès que j’essaie de noter, saisies au vol, les multiples émotions perçues au fil des lectures. Chercher à les réunir, à les assembler, en gerbe, pour mieux les toucher, et plus encore en révéler les origines, a jusqu’à présent fragilisé mes différentes approches. Force m’est d’admettre qu’on n’aborde pas cette écriture, tendue à l’extrême, dotée d’une énergie hors pair, en se présentant à elle de face, les bras ballants, muni, piètre bagage, d’une petite boîte à outils critiques et de quelques résidus de poussières d’école...
C’est ce « saisir au vol les multiples émotions » qui fait tout l’art de Josse, et ce « condenser toute une vie en un éclair » qui donnent à ses récits la poignance de ce qui sans cela serait relégué à la page des faits divers et qui confèrent aux Henri, Paulo, Tony et autres Yves une présence toute fraternelle.
Rappelons enfin que Jacques Josse anime à Rennes les éditions Wigwam qui débutèrent en 1991 avec le Soliflore désordonné de Matthieu Messagier.
– Ronald Klapka, Remue.net, 18 mai 2004 : Jacques Josse, arpenteur de solitudes