Présentation
Publier un journal, « son » journal, quand celui-ci peu à peu absorbe ou phagocyte tout ce que l’on écrit, revient à d’avance braver quelques retours de bâton dont le plus réfléchi, le plus théorique, vise les fondements mêmes de semblable entreprise. Critique rusée, l’accusation, ou le reproche, d’exposer de manière comme brute le sujet, passe toutefois à côté de sa cible. Reposant sur une conception qui fait de l’art en général, de celui d’écrire en particulier, non pas une méditation, certes singulière, mais un écart tel qu’il instaure l’ordre d’une transcendance, cette critique n’a d’autre perspective, et de racine, qu’une approche religieuse d’actes qui ne le sont qu’au prix du mensonge - mais, cuistrerie oblige, ce serait cela, la « littérature » - ou ne le sont que dans d’imaginaires transactions avec un prétendu « sacré ». Outre que l’exposition brute de la subjectivité me paraît relever du fantasme (cette brutalité chaotique, immédiate, ne pouvant par définition s’exprimer, Artaud l’indiquait très lucidement dans ses lettres à Jacques Rivière), tout Journal est écrit, la chose est depuis si longtemps entendue qu’elle fournit la matière de jugements beaucoup plus traditionnels. J’indiquerai donc n’avoir rien désiré que de réduire l’hiatus séparant la pensée d’un individu de ses gestes, n’avoir voulu que cette méditation-là - qui n’est ni rédemption littéraire, ni déballage de cochonneries puritaines, ni ruse théologique avec la vie mais rapport au monde -, d’un livre enfin profane. N’étant pas recensé parmi les anges, n’aspirant pas d’avantage à la « voyance », je ne serai jamais trafiquant d’armes (ou politicien, ou ambassadeur, dealer de radicalité post-debordienne ou domestique). Je suis un diariste athée...