Présentation
LA poésie, c’est l’impensable. Mais il faut bien passer par les mots. Un poème de Fabienne Courtade est comme une échappée, une trouée de lumière dans un ciel lourd de nuages. Et ce qui est imprimé, c’est le ciel inversé de la page, noire d’écriture, dont paroles et images s’annuleraient pour atteindre à sa blancheur seconde.
Sur cette étendue de sens se lève la voile d’une parenthèse. Le phrasé se froisse et se brise comme une vague. Un coup de vent vient coucher les lettres en italique. On est dans un univers d’embruns et de rumeurs océanes, et la lecture s’apparente à une traversée.
Mais les mots d’un poème, ce sont aussi les mille noms de l’absence inscrits sur une pierre, le long des murs ou dans les flaques. La matière en est innombrable. Les sensations fourmillent. Le voyage nous entraîne au-delà de la mémoire. Et l’espoir qu’on croyait perdu précède l’horizon d’une angoisse. Son empreinte dans la boue reflète les étoiles.
Tel est le « Ciel inversé » d’un auteur de pointe, à l’émotivité ombrageuse, portée à l’expérience des extrêmes, stupeur, vertige, orage. Sentier frontalier que le sien pour aller de l’autre côté de sa propre peur. Une sorte d’exode où, comme pour beaucoup d’écrivains contemporains, l’obscène cesserait d’être abject, où subsisterait le sublime, moins l’emphase.
Mais Fabienne Courtade n’en est pas à son coup d’essai. Cette prière aveugle, cette incantation sobre et retenue viennent de loin. Pour ne pas oublier à quoi survit celui qui vit, mais aussi pour témoigner de l’indémontrable, et révéler de quoi est faite l’opacité éblouissante du quotidien.
Non pas à partir d’un savoir établi. L’alternative étant la suivante : ou la poésie est une naïveté supérieure, ou elle est une supercherie de plus. C’est en physicienne du verbe, en prenant le risque d’interroger son regard que Fabienne Courtade scrute l’horizon de son existence propre.
– Dominique Grandmont, L’Humanité